La maison en Q

J’ai plutôt tendance à prendre à la rigolade les histoires de fantômes et de maisons hantées. Mais qui peut m’assurer qu’une énergie si forte que l’énergie sexuelle, qui meut le monde dans son ensemble, ne peut se retrouver, par erreur, comme en débordant, enfermée, piégée dans une structure non humaine, une maison par exemple ?

Omar et Monica, le couple qui m’a contactée pour une consultation à domicile, espérait bien que le phénomène ait lieu en ma présence. Cela m’aurait aidé pour le « sexo-exorcisme » qu’ils attendaient de moi. Mais rien n’est survenu quand ils m’ont fait visiter une à une les pièces de leur belle maison, dont Omar a lui-même dessiné les plans. Assise dans le salon, je m’engageai donc à croire sur parole les faits troublants qu’ils allaient énumérer.

C’est Monica qui raconte en premier. Omar je le sens bien, assume moins le côté paranormal de la chose. Il est biologiste de métier et essaye donc de rester scientifique dans cette affaire, qui néanmoins le déboussole. C’est un petit Arabe sec et frugal, comme on peut s’imaginer ses ancêtres qui ont inventé les chiffres. Monica elle possède de gros seins et est tireuse de cartes sur la TNT, son émission passe dans l’après-midi. Donc elle a tendance à y croire, vu qu’elle est chtarbée.

Ça a commencé tout doux avec un dictionnaire trouvé ouvert à la page du mot « orgasme », entouré. Omar crut comprendre le message et fit l’amour à sa femme, qui elle avait écarté les cuisses sur le fauteuil en croyant à une délicate attention de sa part. Après ce quiproquo, Omar alla prendre une douche et que vit-il écrit au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bain ? « J’ai sucer Omar ». Il reprocha à sa femme ce canular d’un goût pas très exquis, et devant ses dénégations effarées, admit qu’elle n’était pas la coupable. Mais alors qui ? Et qui, au même moment, se mit à jouer de l’harmonica au grenier ?

A noter que le mot « harmonica » est évoqué par la sonorité des prénoms du couple : Omar et Monica. La musique s’arrêta net quand Omar fracassa la trappe du grenier. Personne.

Déstabilisés, ils sortirent dîner en ville. Quand ils revinrent chez eux, ils ne descendirent pas tout de suite de voiture, médusés par les lumières de la maison qui s’allumaient et s’éteignaient. Quand ils franchirent la porte d’entrée, des bruits d’orgasmes retentissaient. On se serait cru dans une boîte échangiste, déclara Monica sous l’œil de Omar étonné qu’elle puisse avoir un tel élément de comparaison. Tout cessa quand ce dernier fit disjoncter. Ils se couchèrent apeurés l’un contre l’autre.

Dans la nuit, une pluie de poires à lavement s’abattit sur le jardin. Il y en avait des centaines ! Omar dut en catastrophe les ramasser au petit matin pour ne pas heurter les voisins. Arrivé à son travail, il trouva inexplicablement le canard vibrant de Monica dans son attaché-case, ce qui l’embarrassa fort devant ses collègues.

Restée à la maison, Monica accomplissait cahin-caha quelques tâches ménagères quand elle découvrit écrit à la suie sur leurs draps blancs : « Harmonica dans le cul ». Elle appela en urgence son mari, lequel une fois rendu monta précipitamment l’escalier menant à la chambre à coucher ; chaque fois qu’il mettait le pied sur une marche, ça émettait un froissement comparable à un pet de fouf, accompagné d’une bourrasque d’air suave qui l’obligeait à se cramponner à la rampe.

Omar n’en revient pas de ce qu’il est en train de me raconter. Il marque un temps d’arrêt en me prévenant que pourtant, le plus fou reste à venir.

Le lendemain de cette folle journée, il actionna le robinet d’eau chaude de la cuisine pour se faire un café instantané… et eut la désagréable surprise de voir du sperme couler dans sa tasse ! Un café crème, pensé-je en me gardant bien de faire de l’esprit à haute voix, tant il est ébranlé par son récit.

Au même moment, Monica remarqua sur un mur du cellier qu’un liquide qu’elle connaît bien suintait : de la cyprine !

De la mouille au mur, du jus de roubignolles au robinet, voilà qui réveilla le biologiste en Omar. Il emmena des échantillons à son labo. Ça en était bel et bien, mais la surprise de taille fut que les deux substances avaient le même ADN ! De quoi désarçonner totalement Omar le cartésien. Moi-même dans toute ma carrière je n’ai rencontré qu’une fois un cas d’hermaphrodisme parfait. C’est Bob, un petit gars rondouillet qui a un pénis et un vagin… mais pas d’anus. Le vagin situé entre ses fesses lui en tient lieu. C’est un monstre si l’on veut. Au 19ème siècle on l’aurait mis dans du formol à côté d’un agneau à deux têtes. Mais quand il est mort en s’exhibant du haut d’une cheminée, sa famille a préféré l’incinérer.

J’écoute d’une oreille Omar et Monica continuer à raconter les attentats à la pudeur de leur maison. Monica dit avoir senti une pression sur ses fesses alors qu’elle était en nuisette, Omar a retrouvé une capote remplie dans l’attrapeur de rêves au-dessus de leur lit, etc. J’essaye d’y voir clair. La maison a-t-elle été construite sur un ancien baisodrome indien ? Non. Une mal-baisée venue d’outre-tombe se venger ? Un adolescent qui viola tous les membres de sa famille ? Non et non, car ils me l’ont dit, ils ont fait construire.

Je me recentre sur l’approche psychologique.

Monica, en temps normal, m’a tout l’air d’une femme lascive. M’est avis qu’elle a moult fois cocufié son mari entre ces murs. Comme la maison, dessinée par lui, en est le seul témoin, ne chercherait-elle pas, par culpabilité, à attirer l’attention sur ses adultères ? Pour creuser cette piste, je leur fais faire un test petit d’écriture automatique. Et mon hypothèse en sort confortée. Monica écrit : « Prends-moi empalée couille en coussin ». Omar rend une copie plus sage : « J’aime promener Monica en calèche de Noël ».

Je penche donc pour une manifestation auto-flagellatrice de la culpabilité de Monica. Omar a dû se gourer en analysant le sperme et la mouille.

Je m’apprête à rendre ma conclusion, quand le téléphone sonne. C’est elle qui répond et devient livide. Omar glisse une main protectrice sur son épaule tout en mettant le haut-parleur. Une voix caverneuse s’élève, répète en boucle : « Votre maison est une salope elle a envie de se faire ramoner. Votre maison est une sal… »

Je m’approche pour voir le numéro entrant. C’est le même que sur un petit autocollant sur leur boîte aux lettres, celui d’une société de ramonage. Je l’ai mémorisé car j’ai un problème de poêle. Bref, j’arrache le combiné des mains de Monica et j’adresse à l’esprit lubrique : « Eh bien passez lui en mettre un bon coup, Monsieur ! »

Immédiatement ding dong, on sonne à la porte. Je vais ouvrir, Omar et Monica en sont incapables. Nom d’une bite en flamme… C’est Bob ! Bob mon ancien patient hermaphrodite suivi pour son impuissance, mort en tombant d’une… cheminée. Il ne me reconnait pas, ne salue personne et monte tel un zombi aux étages en traînant derrière lui un hérisson fait d’un entrecroisement de godemichés.

Omar redevient un homme et veut l’attraper par le bleu de travail. Je l’en empêche, nous le suivons jusqu’au toit et l’observons depuis le velux ramoner la cheminée en débitant des mots obscènes. Nul doute qu’il ne sublime son impuissance dans l’acte de ramoner. Bob, oh Bob, tu es pitoyable, Bob ! Pour finir il fait comme s’il avait un orgasme à travers le hérisson, redescend, présente à Omar une facture. Omar voit rouge, mais je l’empêche à nouveau de péter la gueule à Bob.

– Ce salaud nous terrorise pour qu’on fasse ramoner et je ne devrais pas broncher ?!

Je lui rappelle les analyses d’ADN, la présence invisible dans la maison, pour qu’il se souvienne que c’est certainement plus compliqué. Alors il fait son chèque à Bob et Bob s’en va.

Bob est-il mort comme dans Sixième sens ? Si oui, le sait-il ? Affranchi des contraintes de son squelette, ça expliquerait qu’il ait pu monter des stratagèmes hyper-compliqués sans se faire choper. Ou bien sa famille –des notables casse-bonbons- ayant trop honte de son hermaphrodisme, a pu le faire passer pour mort ? Auquel cas il faut imaginer ce petit gros s’introduire secrètement comme un chat chez les Harmonica, tartiner un mur avec sa mouille, etc. J’ai du mal. Comme on dit, s’il y a un truc, c’est encore plus fort.

Quoi qu’il en soit, le foyer d’Omar et Monica a retrouvé son calme. Mais ailleurs, une maison équipée d’une cheminée est sûrement en proie à la hantise perverse de Bob, le ramoneur hermaphrodite.

2 Responses
  1. BRACMAR

    Omar et Monica!…. c’est délicieux. La Mère Bragettese donne-t-elle conseil sur les greffes de bites? Mon mari envisage en effet de s’en faire greffer une sur le front. Nous hésitons…

  2. La Mère Braguette

    Bonjour cher Bracmar,
    Je n’ai pas de conseil technique à donner si ce n’est de foncer si telle est votre envie !

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