L’apnée du coït

Un conjoint ronfleur met toujours son couple à l’épreuve, tant cette pollution sonore nocturne est un tue-l’amour. J’ai choisi de dévoiler le dossier d’Éric et René pour donner une lueur d’espoir à celles et ceux qui souffrent d’une pareille situation, car ça ne se termine pas trop mal.

Éric et René ne sont guère heureux au lit. Il y a chez eux un dimorphisme sexuel qui peut-être en est la cause : comme chez les insectes, la femelle est beaucoup plus grosse que le mâle ; j’entends par là que René, qui fait la femme, est un mastodonte et Éric, un avorton. Sauf que lui ne risque pas d’être dévoré après l’accouplement car René est une crème.

Dans la chambre d’hôtel où nous les retrouvons, Éric, volontiers colérique, avait très envie de faire l’amour. René n’était pas contre, mais tenait d’abord à se brosser les dents, faire sa miction et prendre un cachet pour anticiper le mal de tête du lendemain, car il s’était gorgé de vin chaud. C’était à Lyon, durant la Fête des Lumières, où l’on trouve cette boisson à tous les coins de rue.

Éric l’attendait sur le plumard, son corps sec souligné par un T-shirt rose qui laissait admirer un piercing ombilical et un pubis rasé en V. René prenait le temps de déballer les lumignons qu’il avait achetés en souvenir.

-Tu feras ça quand on sera rentrés, viens au lit !

René vint et s’allongea. Je vais encore devoir faire tout le boulot, pesta intérieurement Éric. Effectivement René se laissait embrasser la bouche et le goitre, lécher les tétons adipeux. Éric humecta lui-même son propre sexe pour pénétrer René en missionnaire. L’imposant ventre de René lui masquait le théâtre des opérations, mais sous les couilles il était suffisamment large pour y aller au doigt mouillé. Le pénis d’Éric n’était d’ailleurs pas plus gros.

En cette Fête des Lumières, l’hôtel était bondé. Dans la chambre d’à côté, séparée de celle d’Éric et René par une mince cloison, un couple hétérosexuel se mettait également à l’ouvrage. Mais c’était autrement plus tonique ! la femme jappait comme une folle, on entendait haleter l’homme comme une bête. Ce remue-ménage n’empêcha pas le gars René de… s’endormir ! ce qui blessa dangereusement l’amour-propre d’Éric, car il estimait l’embrocher avec vigueur. René était KO au vin chaud.

Pour rivaliser avec la fougue des voisins, Éric pagayait le plus fort possible dans René, mais il dormait toujours profondément ; en vain Éric lui claquait la bedaine et se désarticulait pour lui mordiller les lobes. Souvent Éric avait perçu que René ne se sentait pas concerné durant l’acte, mais au point de fermer l’œil ! Dans ces moments-là, Éric s’imaginait des trucs hots pour garder la banane ; or avec ces deux couillons d’hétéros qui s’en donnaient si bruyamment à cœur joie, il en était incapable. Il dégringola de la baleine René sans avoir déchargé. A côté la fiesta était loin de mollir. Ça redoublait de cris, de bruits juteux, de lampes de chevet qui tombent, de crachats, de chocs, de rires comme si le sexe du type sortait des fois de l’étui et que le sérieux de la baise reprenait plus intensément quand il y retournait.

En proie à une trop forte jalousie, et la moutarde de ses couilles lui montant au nez, Éric tambourina comme un malade contre la cloison en gueulant de toute sa voix de fouine pour réclamer le silence. Il l’obtint.

Bordel de merde, pensa-t-il, recouché, c’est censé être les homos les festifs… Et sur ce préjugé, René se mit à ronfler ! Les kilos superflus mélangés à l’alcool donnaient une très forte intensité à ses ronflements. Éric essaya de les arrêter en sifflant tout en branlant René. Ça n’eut aucun effet. Il s’efforça de le faire rouler sur le ventre, mais le gros René était trop enfoncé dans le matelas. Tout à coup le couple hétéro tapa à la cloison : 

-Oh ça suffit, y en a qui voudraient bien baiser ici !

C’était la voix de la fille, étouffée par une fellation, pratique sexuelle plus respectueuse du voisinage. Le rire du mec perça la cloison et crucifia d’autant plus Éric qu’il s’était achevé en râle de plaisir, alors que le silence était revenu dans la chambre. En effet René ne ronflait plus, mais ne respirait plus non plus !

-Au secours ! hurla Éric, paniqué.

Le couple hétéro enfonça la porte, à poil ; la femme, une authentique playmate tatouée, le mec, un étalon musclé de partout. Elle se précipita sur René et lui fit du bouche-à-bouche. Le mec un massage cardiaque ; Éric mirait sa bite énorme.

Très vite René respira à nouveau.

-Beuh mais… Éric ! C’est quoi cette conne qui me roule une pelle au foutre !?

Ce fut au tour de plein d’autres clients de l’hôtel de débouler, alertés eux aussi par les hurlements d’Éric.

-Que se passe-t-il ?

Éric, jaloux comme un pou de la libido adverse, honteux de sa petite bite et du corps de son conjoint, répondit :

-Agression ! Agression homophobe !

-Hein !? Mais jamais de la vie ! Nous sommes accourus mon keum et moi car cet homme était en arrêt respiratoire !

René comprit qu’il avait dû faire une apnée du sommeil. Il s’y savait sujet, en bon ronfleur ; mais il eut honte et n’osa pas confirmer ce que disait la bombe sexuelle.

-Agression homophobe ! déclara-t-il aussi.

L’étalon voulut leur casser la gueule, la vingtaine de personnes amassées dans la petite piaule l’en empêcha de justesse.

-Je criais au secours car nous subissions l’agression de ces deux phobiques, qui déjà nous avaient traités de pédés à travers la cloison, renchérit Éric en prenant la main de René sous le drap. Les hétéros patentés furent évacués, puis tout le monde jugea qu’il fallait rendre à leurs victimes l’intimité nécessaire pour se reconstruire.

René ne fut pas long à se rendormir ; mais avant, il confia à Éric que tout cela avait interrompu un doux rêve qu’il faisait : un lumignon spécial lui réchauffait merveilleusement le cul. Éric, touché et radouci par cette confidence, se pelotonna contre lui.

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