Tailler la branlette

Le confinement a mis les nerfs sexuels de beaucoup d’entre nous à rude épreuve. Moi, je m’en suis pas mal tirée, en me faisant tirer justement, par un patient bien gaulé qui s’est laissé confiner au cabinet. Parmi ceux pour qui ça a été très dur, un petit branleur nommé Achille, dont voici le récit des mésaventures.

Tout n’avait pas si mal commencé. Un peu de télétravail le matin, puis le reste de la journée était consacré à de copieuses branlettes nourries au bon grain d’Internet. On sait que Pornhub a eu la bonne idée de rendre gratuit l’accès à son contenu premium ; toutefois Achille comptait déjà parmi les abonnés payants. Il en avait pour son argent, mais était frustré de n’avoir jamais le temps de tout voir. Or là, avec ce temps béni du confinement, il commençait à avoir une vision encyclopédique du site, se tapant branlette sur branlette au point de devoir se la fourrer dans un gant d’eau froide la nuit pour pouvoir l’empoigner de nouveau le lendemain.

Scientifique de formation, il avait ramené un microscope du travail à l’annonce du confinement. S’il s’avérait atteint, il pourrait observer ses germes et tâcher de trouver le point faible du coronavirus ; du moins ce fut ce qu’il dit à son patron. Heureusement, il était en pleine forme. Un jour, entre deux branlettes, il observa quand même ses crottes de nez. Il les jugea parfaitement saines. Sans transition, il décida d’examiner ses spermatozoïdes. Ce serait marrant de les voir nager, comme dans Allo maman ici bébé, avec Travolta.

Pour qu’elle soit bien riche, il réprima son éjaculation le plus longtemps possible, et comme il n’avait pas emmené de boîte de Petri, s’apprêtait à la récupérer dans un petit verre à saké. Par malheur, il n’avait pas remarqué qu’il comportait une légère ébréchure sur le bord…

Comme à chaque fois il se retint pour jouir en même temps que le hardeur. Quand ce dernier retira son gros nœud de l’anus d’une jeune ukrainienne et qu’il le lui pointa entre les yeux, Achille sut que c’était le moment.

Rouge comme une tomate, le gland d’Achille ne fit qu’effleurer le verre tranchant mais l’incision provoqua un jet de sang violent et continu. Instantanément, tandis que celui du hardeur aux mollets plein de tatouages maoris repeignait le minois de l’ukrainienne, son sperme dégringola au fond de ses testicules, et Achille s’effondra.

Il se réveilla une minute après, dans l’état de panique qu’on peut imaginer. L’intensité de l’hémorragie avait baissé mais ne donnait pas l’impression de vouloir s’arrêter. La blessure était d’une sensibilité jalouse ; le simple contact avec la cuisse était insupportable. Impossible de se relever. Que faire ? Sur le dos, il rampa jusqu’à son smartphone. Or au moment d’appuyer sur le 5, pour composer le 15 du SAMU, une gêne terrible l’arrêta. Comment expliquer ce qui lui arrivait sans se couvrir de scandale ? Il imaginait déjà la honte sur BFM : « en pleine épidémie de covid-19, un jeune confiné accapare des soignants pour une blessure faite à son gland en se masturbant… » De plus autour de lui, ils découvriraient tous les précieux masques dans lesquels, à cours de kleenex, il avait éjaculé.

Tenait-il suffisamment à la vie pour passer sous les fourches caudines de secouristes tendus, qu’il pouvait certes supposer professionnels, mais néanmoins humains et inévitablement soumis au comique d’une situation où le funeste le disputait si magistralement au grotesque ? Pis encore, il créerait un précédent ; car il n’en doutait pas, une chose aussi folle ne s’était jamais produite avant lui. Une lardasse au gland, si la Terre porte deux fois un hurluberlu capable de s’infliger ça, on dira :

– Il s’est fait une Achille.

– Une Achille ?

– Oui tu sais, la même chose qui était arrivée à ce dégénéré qui voulait décharger dans son service japonais. Un de ces petits verres avec la femme à poil au fond était fendu et il s’est entaillé le chibre dessus !

Une impression de fin du monde stressait terriblement Achille. S’il refusait de soutenir le regard d’une équipe médicale et qu’il se laissait mourir ici, sur sa moquette ensanglantée, on finirait de toute façon par découvrir son corps. Des collègues inquiets, sa mère peut-être, défonceraient la porte et le trouveraient à moitié putréfié, figé dans son sang séché, l’extrémité du sexe éventrée. Qu’allait-on penser ? Qu’il s’est suicidé ? Mais il ne viendrait pas à l’idée du plus désespéré des masochistes de se donner la mort de cette façon. Tous penseraient qu’il se livrait à un délire sexuel incroyablement tordu, qu’il voulait boire son sperme ou peut-être… se le faire couler entre les fesses. Et même si on comprenait en voyant le microscope, son patron déclarerait au Petit journal : « Et dire qu’il l’avait demandé soi-disant pour lutter contre le coronavirus… » Ces hypothèses rendraient son deuil malsain à tout son entourage ; qui finirait par le détester.

Ses forces l’abandonnaient ; bientôt il n’aurait même plus l’énergie de peser le pour et le contre.

Soudain une illumination traversa son agonie : il pouvait, s’il s’armait de courage – mais comment se payer le luxe d’en manquer ? – tenter de stopper tout seul le saignement, en se garrottant. Plein de douleur et de faiblesse, il se pinça la base du sexe. Ç’eut dans un premier temps pour effet de précipiter l’écoulement, puis il constata un mieux. Il ne sentait plus vraiment la vie s’échapper du bout de son zizi, entrevoyait la possibilité de se tirer de ce mauvais pas !

Hélas, il n’arrivait pas à maintenir une pression constante. Ses mains tremblantes se relâchaient parfois quelques millisecondes, et c’était assez pour que s’échappassent de vitales giclées d’hémoglobine…

L’élastique de sa queue-de-cheval –a-t-on dit qu’il avait une queue-de-cheval ?- ferait parfaitement l’affaire ! Il le défit et avec d’extrêmes précautions, le posa très serré, en ayant fait au moins dix tours, le plus loin possible de l’estafilade. A bout de forces, de nerfs et de tout ce qui maintient conscient un être humain, il chavira dans un sommeil peuplé de démons. Plus tard, mais guère plus tard, il revint à lui. En vie, donc.

             Il vécut allongé quelques temps, se désinfectant la nouille avec du gel hydroalcoolique. Quand il put se trainer jusqu’à son ordinateur, il retomba sur le site porno ; surtout ne pas bander ! se dit-il, pour ne pas anéantir la mince cicatrisation de son gland. Mais heureusement, sur le côté de l’écran, parmi les pubs défila la mienne ! Ben quoi ? Je ratisse quelques patients depuis les sites de cul, je ne fais plus comme les marabouts qui mettent des mots dans les boîtes aux lettres. L’aspect médical qui distinguait mon annonce des autres retint son attention ; il m’appela à la rescousse et j’accourus, munie de mon attestation de déplacement.

On ne pouvait appeler « pénis » le lambeau de chair exsangue qui pendait sous son pubis… Je devins son infirmière à domicile et après plusieurs jours d’onguents, d’incantations, de miel et de salive réparatrice, j’ai réussi à ravoir sa teub. Certes elle est balafrée, mais ça lui donne un côté baroudeuse qui ne laissera pas insensible la femme qui la verra un jour ; au moins en webcam.

 

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