Le bonheur est sur le parking de Carrefour

La sexologie, à l’inverse de la psychanalyse, n’attire pas que des citadins qui ont un petit coup de mou ; je me flatte d’accueillir dans mon cabinet d’authentiques ploucs au bout du rouleau. Josselin est l’un d’eux. Il est éleveur de vaches laitières, a un strabisme à faire passer Jean-Paul Sartre pour un tireur d’élite, et un accident agricole l’a quasi scalpé. Même moi je ne me suis pas sentie de le dépuceler. Raison pour laquelle j’avais pris la liberté de l’inscrire à L’amour est dans le pré.

Il petit-déjeunait d’une conserve William Saurien quand l’animatrice de l’émission, Carine Lemarchand, lui téléphona en personne pour lui annoncer que suite à la diffusion de son portrait, aucune dame ne lui avait écrit. Elle lui dit qu’il ne s’était pas assez livré dans le petit reportage qui lui était consacré ; par conséquent, personne n’avait pu découvrir à quel point il est « choupinou ».

Tout de suite après avoir raccroché, il reçut un SMS d’un copain agriculteur, qui lui rappelait que c’était aujourd’hui qu’ils devaient déverser leur lait sur le parking d’un supermarché, pour protester contre le prix indécent auquel la grande distribution le leur achetait.

Au départ, Josselin n’était qu’à moitié motivé par cette action un peu trop spectaculaire pour lui, mais la déception de L’amour est dans le pré l’avait empli d’un ressentiment contre la Terre entière qu’il fallait bien évacuer. Il prit donc en tracteur la direction de ce supermarché, tirant une cuve pleine du lait sorti il y a une heure à peine des pis de ses vaches.

Guère loin de chez lui, mais dans un tout autre décor, le directeur de ce supermarché prenait lui aussi son petit-déjeuner. Des œufs mollets et du pain frais. Sa femme l’avait rejoint à table, étonnamment souriante. Il l’ignorait mais il lui avait par erreur envoyé une photo de son érection matinale. Or, voyant qu’il n’y avait rien de changé, qu’il ne levait comme d’habitude pas les yeux de son journal vers elle, elle comprit qu’il dut y avoir méprise.

Naïvement, Marie-Edwige s’était figurée qu’il lui témoignait son enthousiasme pour leur séjour en thalassothérapie qui approchait. Dire qu’en plus aujourd’hui précisément, il fallait qu’elle l’accompagne au supermarché pour signer elle ne savait plus au juste quel papier…

Presque arrivés, leur berline dépassa la colonne de tracteurs, dont bien sûr celui de Josselin. Derrière les vitres closes et teintées ils n’entendirent pas le Chant des partisans qu’entonnaient les agriculteurs. Le mari de Marie-Edwige, qui ne s’était toujours pas rendu compte de sa bourde, lui reprochait de faire la gueule.

-Et pour la thalasso j’annule tout ! Je pars pas me rouler dans la vase avec une chieuse comme toi.

Mais une fois sur le parking du magasin, il se souvint qu’il avait aujourd’hui besoin de sa signature ; alors il tentait de se racheter dans l’habitacle, quand les agriculteurs déboulèrent.

Il sortit pensant être suivi par sa femme, car il l’avait tirée hors de la berline par le bras. Il n’accorda pas un regard aux producteurs laitiers qui, impressionnés, le huèrent légèrement. Une fois à l’intérieur, il ordonna à la jolie stagiaire d’HEC, par ailleurs la réelle destinataire de la photo de sa bite, de verrouiller les portes d’entrées automatiques. Il ne savait pas que sa femme, se prenant pour Dian Fossey, s’était mêlée aux paysans. La stagiaire s’en aperçut, mais elle verrouilla quand même…

Josselin, bien que peu à l’aise à l’oral, s’était emparé du portevoix. Il commença à grogner. Depuis son bureau le directeur regarda à quoi ressemblait cet énergumène et fit rire la stagiaire en le comparant à Quasimodo. Il plaisanta moins quand il remarqua sa femme agenouillée au centre de la meute.

-Messieurs, leur disait-elle, je connais mon mari ; vous pouvez déverser tout le lait que vous voulez sur son parking, ça n’aura aucun impact sur sa politique d’achat. C’est un tout autre liquide qu’il vous faut faire jaillir…

Il voulut se précipiter dehors mais le système de déverrouillage ne marchait pas ! Il tapait sans succès sur les portes automatiques vitrées, comme fou car sa femme se dépoitraillait et les paysans devenaient lubriques ! Une partie du personnel et les premiers clients de la journée, médusés, se tenaient un peu à l’écart. Un journaliste avait grossi l’assemblée.

-Elle est sérieuse, les gars ? dit Josselin, qui avait rabattu son portevoix. On va quand même pas se faire sucer à tour de rôle comme ça ?

-J’aimerais te dire non, lui répondit un confrère marié, qui bandait à tout rompre.

Les autres aussi avaient dressé le chapiteau, chapiteaux dont les armatures de chair (les zobs) percèrent vite la toile.

-Non, messieurs, dit Marie-Edwige, je vais effectivement recueillir votre laitance sur moi, mais veuillez vous traire vous-même, je me sens lasse et n’aurais pas la force de vous branler.

Il n’y avait plus vraiment de doute, c’était de sperme qu’elle parlait. Dès les premiers jets elle fut défigurée et « éclaboussa » de scandale son directeur de mari pire que si la photo de son pénis avait « fuité » ailleurs que sur son téléphone à elle. Mais Marie-Edwige n’avait pas agi dans ce but ; c’était pour elle une action désespérée, une immolation par le foutre, quoique non dénuée d’humour car sa thalasso, elle la prenait bel et bien, au nez et à la barbe de son mari.

Josselin se résolut le dernier à participer de sa liqueur à ce cairn visqueux, plus par solidarité. D’un geste vif il lui fit partir sa dernière goutte sur le front et déclara à la caméra de France 3 :

-Je m’appelle Josselin et je cherche l’amour. Ça va comme ça, Carine, je me livre assez ?

Pour lui aussi c’était une bravade désespérée. Il n’espérait pas recevoir du courrier sentimental après ça.

Toutefois, nous pouvons crier au happy end.

En effet, quand il tendit à Marie-Edwige son mouchoir en tissu, elle le regarda à travers l’épais voile de sperme. Après un brin de toilette, elle le lui rendit. Il en profita pour la relever et la conduisit, plein d’audace, par la main jusqu’à son tracteur ; à bord duquel il la ramena chez lui, à 2km/h.

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